Jours tranquilles à Brooklyn by Miller Henry

Jours tranquilles à Brooklyn by Miller Henry

Auteur:Miller, Henry [Miller, Henry]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Nouvelles
Publié: 1977-08-14T16:00:00+00:00


Le pétard contre la bombe

Traduit de l’américain

par Jean-Pierre Cerquant

Selon l’auteur de Tropiques,

le monde est un monumental fiasco,

mais on peut encore s’y amuser.

Ce que je souhaite faire ici, c’est exprimer sans ordre mes idées, mes réflexions, mes ruminations et récriminations. Mon but n’est pas de changer le cours des choses, comme on disait autrefois. Je ne crois pas qu’aucun homme ou qu’aucune association soit à même de corriger le monde. Il suffit de regarder le monde de suffisamment haut pour ne plus éprouver le besoin de le corriger. Le sage tantriste peut dire, avec Céline : « Je pisse sur tout cela d’une hauteur considérable. » Le Tzaddik et le Gourou restent impassibles. Les extatiques (les Hassidim de la tradition juive) danseront et chanteront toujours au moment où le monde sombrera dans le néant. Les saints ne refusent jamais de tirer un coup, un bon coup bien saint, parce qu’ils sont invulnérables, incorruptibles et par-delà la mélancolie et le désespoir. Pourquoi l’Église a-t-elle fait de la mélancolie un péché grave ? Au même titre que l’acedia (la tiédeur spirituelle) ? Réfléchissez-y !

Pourquoi le pétard ? Parce qu’il représente le principe de plaisir. Peut-être servait-il aussi (chez les Chinois) à chasser les démons, mais jamais à tuer d’autres êtres humains ou même des animaux. Erich Gutkind (prophète tombé dans l’oubli) a écrit un livre qui s’intitule Choisissez la vie – titre emprunté à l’Ancien Testament. Nous avons le choix, apparemment, entre la vie et la mort. Et nous avons choisi la mort – ou mieux encore, l’annihilation totale. Nous pouvons la faire jaillir sous la mer ou dans l’espace. Nous sommes les « mangeurs de mort ».

La plupart des écrivains du XIXe siècle, de William Blake à Rimbaud, Blavatsky, Gurdjieff et ceux du XXe, ont annoncé la mort de l’homme civilisé. Le terme même de « civilisé » fut remis en question. Être civilisé consistait à tuer, à s’empoisonner par l’alcool et la drogue, à entretenir la prostitution, à créer de vastes différences dans les richesses. Ironiquement, l’Amérique, terre de l’abondance, abrite un grand nombre d’individus vivant dans une misère telle que beaucoup sont contraints de se nourrir d’aliments pour chiens ou pour chats.

Ce que je dis là n’a rien de nouveau, je m’en rends compte. Je rappelle ces faits connus dans le vain espoir qu’il n’est pas encore trop tard, que nous, et par nous j’entends la totalité du monde civilisé, puissions ouvrir les yeux de celui-ci et interrompre le cours de son autodestruction. Voici des siècles que l’homme nage dans sa merde et son vomi, avec un peu de pisse aigre de cheval en plus. Aujourd’hui, même un peuple aussi enclin à la spiritualité que celui des Hindous a opté pour la bombe atomique. Ils plaident pour la paix, mais qui peut les croire ? Les deux Super-Grands, la Russie et l’Amérique, ne font pas de manières en ce qui concerne l’accumulation de leur armement ou les ventes qu’ils en font à d’autres nations. On attend le cœur battant de voir ce que les Chinois feront maintenant qu’ils ont la bombe.

La



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